2013. J’ai trente ans. On m’offre l’ascension du Mont-Blanc*.
À la différence des autres contenus de ce site, il s’agit ici d’un texte personnel, non publié ailleurs. Un aide-mémoire sur une aventure passée. Je me permets malgré tout de partager.
Samedi 7 septembre. Terminus Chamonix-Les Bossons. Nous sommes six personnes, tous des hommes, de 25 à 60 ans environ. Le stage débute par une séance d’exercices. La base de la base de l’escalade.
Dimanche 8 septembre. Chacun s’équipe en prévision du temps annoncé. Maussade. Nous gagnons, en voiture, le village de La Tour (1400 m). Le téléphérique (Charamillon) nous emporte 400 mètres plus haut. La suite se fera à pied. Direction le Refuge Albert 1er, 1000 mètres plus haut.
La pente est régulière. À mi-parcours, je suis en nage. La faute à un équipement inadapté. Les nuages se dissipent, comme dit la météo. Derrière nous, de l’autre côté de la vallée, le massif des Aiguilles rouges. Plus loin, devant nous, le glacier de la tour.
Au refuge, il fait froid et humide. L’endroit est en cours de rénovation. Je me change presque totalement mais dois conserver un pantalon humide. Il le restera tout un après-midi consacré à des exercices sur glacier. La pluie nous interrompt. Brouillard. Retour anticipé au refuge. Décidément, il y fait froid. À l’extérieur, le temps est mauvais. Les 24 places du dortoir sont occupées. Le soir, dans mon sac de couchage, je m’endors tout habillé.
Lundi 9 septembre. Nous partons vers 7h10. Le temps, brumeux, se dégage vite. On enfile les crampons et grimpons jusqu’à la Petite fourche, à 3507 mètres (c’est la photo tout là-haut). Une montée continue, difficile. Dans la tête, les idées défilent. La durée de l’effort donne beaucoup de temps pour cela. Je ressens une douleur au genou gauche. Je la suspecte d’être liée à la marche en crampons. Sans certitude.
Les paysages sont grandioses. Nous longeons d’abord le glacier du Tour. L’esprit revient vite à des considérations plus pratiques : que vais-je donc bien pouvoir abandonner au gîte demain soir histoire d’alléger mon équipement ? Après la Petite Fourche, descente en semi-rappel puis traversée du plateau du Trient. Nous sommes en Suisse. On ne sent plus de vent, le paysage est, là-encore, à couper le souffle. Une large plaine blanche. Immaculée.
Notre refuge pose sa grosse masse sur un promontoire rocheux. Ma douleur au genou revient. Je m’inquiète sérieusement pour la suite. J’avale un anti-inflammatoire. L’endroit est chaud, propre. Que de changement par rapport à la veille. J’en profite pour faire sécher mes vêtements. Et dormir.
Je ne grimperai pas le Mont-Blanc, pas cette fois.
Mardi 10 septembre. Lever à 5 heures. La météo est mauvaise (neige + froid + vent). Le départ est différé de 2 heures. Une heure après celui-ci, sans surprise, nous renonçons à notre objectif du matin : l’Aiguille du Tour. Toujours en raison de la météo. Nous prenons la direction de notre point de départ, deux jours auparavant, en passant par le refuge Albert 1er. Une éclaircie offre un beau panorama orangé sur le plateau du Trient. Mais les conditions sur le reste du parcours sont déplorables. Près du télécabine, la brume monte de la vallée, la couvre. La pente est de plus en plus verte. Nous sommes en Irlande.
Retour aux Bossons. On débriefe, comme disent les pros. Le temps s’annonce mauvais pour jeudi, et l’ascension du Mont-Blanc. Sachant qu’on parle de la partie finale de l’ascension. L’approche devant être réalisée demain. Alors, deux solutions : faire le Mont-Blanc en un jour, ce qui semble compliqué pour les plus âgés du groupe (et moi si mon genou m’embête encore). La météo nous donne 3 chances sur 10. C’est faible. La deuxième : tenter le col italien du Grand Paradis. C’est moins haut (4100 m), une bonne journée de marche. Mais la météo est meilleure. Va pour la deuxième solution, je ne grimperai pas le Mont-Blanc, pas cette fois.
Mercredi 11 septembre. La meilleure journée. Sans conteste. La plus éprouvante aussi. À 7h10, nous quittons Les Bossons. Direction le Val d’Aoste, en Italie. Une heure et demie de route, via le tunnel du Mont-Blanc. Nous arrivons dans le Parc du Grand Paradis.
Assistés d’un nouveau guide, nous marchons, deux heures, sur un sentier de randonnée. Raide le chemin. Mais pas inabordable. On se ravitaille rapidement au refuge Victor-Emmanuel II (son ancien logis de chasse). Ici, l’un des nôtres déclare forfait pour le reste de l’aventure. On redémarre. Après une heure trente de marche, voici la neige. On chausse les crampons. C’est le début, pour moi, d’une longue période de souffrance. Les premiers passages sont très raides. J’ai du mal à positionner mes pieds tant la pente est forte. Mon genou me laisse tranquille. Mais l’effort est si dur. Seul, j’aurais renoncé. Je pense aux randonnées effectuées avec ma compagne. Jamais nous n’avons affronté des courses aussi difficiles. Seul, je multiplierais les pauses. Pas question ici. Quand on lève les yeux, la montagne est comme un géant qui nous toise. Un building superpuissant. Une masse sombre, enneigée par endroits. Comment croire que j’arriverai au sommet ?
« Laissez-moi, allez-y »
Tant de choses me viennent en tête : le concept de dépassement et de limites. Tout est dans la tête. Je ressens une profonde admiration pour la force et le mental à toute épreuve des guides. Un respect très fort. Outre leur robustesse, leur métier exige un mental d’acier. Une volonté incroyable tant chaque pas semble minuscule comparé à la distance nous séparant du sommet et à l’inclinaison du chemin. Puis, pour mon plus grand bonheur, notre guide nous annonce le début du pic rocheux. 15 à 20 minutes d’escalade et nous atteignons notre « objectif ». Notre « paradis ». 4061 mètres, précisément.
Ce n’est pas le Mont-Blanc, certes. Mais la satisfaction est immense. Sur la route du retour, je suis enchanté. Peu de fois dans une vie, on ressent ce genre d’émotion. Cette impression de toute puissance. De flottement. Je ventile mon euphorie. La descente s’achève par de belles glissades sur la neige. En mode canyoning. Je suis rincé. Heureux d’avoir « réussi » ce sommet, de rentrer, bientôt, à la maison.
Le soir, on dîne chez les « Ritals ». Excellent, évidemment. Une anecdote anime les discussions. Dans la descente, l’un des membres de notre groupe s’est senti mal. Leur cordée fait des arrêts. Il chancelle, tombe, vomit. Puis lâche : « Laissez-moi, allez-y ». Des années plus tard, je m’en délecte encore. Même mon genou m’a laissé tranquille. Excellente journée je vous disais.
Demain, le temps devrait être mauvais. Si c’est le cas, on rentre au bercail.
Jeudi 12 septembre 2013.
Dernière journée. Pas de pluie. Malgré les réticences de notre guide, pas motivé pour le coup, nous choisissons de marcher à la même altitude en direction du refuge du Chabot, puis de redescendre en fond de vallée. Bonne idée. La ballade est agréable. On observe une vingtaine de chamois, traversons quelques ruisseaux. Le stage s’achève ici. À 14h14, le train m’emporte loin de Chamonix. Merci.
* Le stage est organisé par Terres d’Aventure, spécialiste du voyage à pied.